Marie Hélène Grégoire

Ecrivain biographe

78400 CHATOU

marieh.gregoire@gmail.com

 

01.75.26.38.69

06.20.57.05.18 

 

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Madame O.

93 ans

 

Mon brevet élémentaire en poche, j’avais donc été obligée de chercher du travail. C’est le 13 novembre 1939 que je suis rentrée à la banque XX au service comptable par l’intermédiaire d’une amie de la famille car ils embauchaient des jeunes pour remplacer les employés mobilisés. La majorité des employés était donc féminine. Mon rôle était de tenir le grand livre. Comme la banque avait beaucoup d’agences dans l’XX, il fallait récapituler leurs résultats et leurs actions. Pour débuter, en tant qu’apprentie, c’était un bon poste ; mais je ne touchais que 450 francs par mois et c’était peu.

 

C’est alors que j’ai eu beaucoup de chance. Mon oncle Michel XX, marié avec ma tante la plus jeune Albertine dite « Pépée » diminutif de Poupée, venait de trouver un poste d’ingénieur dessinateur d’études à l’usine d’aviation XX. Il me proposa d’intégrer moi aussi cette usine et je ne mis pas longtemps à me décider. En juin 1940, j’étais embauchée comme employée aux écritures ; c’était un travail administratif. Je gagnais alors 900 francs par mois et c’était beaucoup mieux.

 

Peu de temps après mon embauche, un matin, autour du 15 juin 1940, notre directeur attendait le personnel, juché sur sa voiture pour être vu de tous et pour nous annoncer que tout le monde devait partir à La Rochelle car les allemands venaient de franchir la Loire. L’usine fermait, il n’était pas question de continuer. Mais mon oncle Michel, dit tonton « Mimi » bien avisé, avait préféré rapatrier toute la famille, chez lui, à XX. Il nous sentait plus en sécurité là-bas. Bien lui en a pris car les allemands sont arrivés avant les réfugiés à XX. Les routes étaient devenues très dangereuses, les italiens mitraillaient tous les axes et il y eut beaucoup de morts. Les gens fuyaient à pied sur les routes avec des voitures d’enfants et des charrettes surchargées auxquelles étaient accrochés des hommes ou des femmes à bicyclette. Dans la forêt, nous avions trouvé des habits militaires de ceux qui désertaient ! Nous étions partis en famille avec une de mes amies, Jeannette, qui travaillait à la banque et ensuite à l’usine avec moi.

 

Puis le 22 juin 1940, le maréchal Pétain a signé l’armistice. Mon oncle qui avait vu une estafette allemande arriver à la mairie, avait décidé de notre retour à XX. Le lendemain, la ligne de démarcation était tracée. Nous étions en zone occupée, la plus industrialisée et la plus peuplée du département du XX. Je me souviens de longues files de voitures qui attendaient pour passer la ligne. Ils attendaient parfois plusieurs jours ! Des deux côtés, il devenait extrêmement difficile de circuler et de communiquer. On entendait dire des soldats allemands qu’ils violaient les filles et qu’ils faisaient prisonniers les hommes ; nous avions tous très peur.

 

Alors commença une période de chômage pour moi qui devait durer jusqu’au mois de février 1941.


 

 

 

 

 

Monsieur D.

55 ans

 

 

Il est vrai que j’avais, pendant cette période d’alternance, fabriqué dans l’atelier une petite collection de montures de lunettes en acétate. Le résultat était d’une grande qualité et me rendait assez fier. Tout était fait main, j’y avais passé beaucoup de temps et cela représentait beaucoup de travail, de technique et de précision. J’utilisais une lime, une scie, de l’acétone, une perceuse, rien de bien spécial, mais surtout j’avais du goût et des idées.

 

J’avais commandé chez un fabricant italien des plaques de plastique de couleur que je sciais parfois même dans le sens de l’épaisseur, puis que je chauffais et repliais après avoir fait fondre et avoir collé certaines parties à l’acétone. Quand je limais, je pouvais en fonction de la force employée, arriver à un dégradé de couleurs plus ou moins vif. Il fallait doser la pression de la lime et alors le résultat était fabuleux. Je me souviens des couleurs obtenues pour certaines montures de ma collection : une en dégradé de bleus, une autre en rouge orangé, une autre encore couleur écaille. J’ai d’ailleurs, pour la petite histoire, reçu un mail dernièrement d’une personne devenue fabricant de montures avec qui j’ai fait mes études et qui se souvient très bien d’une monture bleue que j’avais réalisée. J’étais plutôt étonné et fier qu’elle se rappelle de moi comme d’un fabricant « en herbe » inventif et performant.

 

Ma collection de montures terminée, j’avais hésité pour aller me présenter au concours du MOF (Meilleur Ouvrier de France). L’épreuve consistait à fabriquer une monture sur place dans un temps limité. C’est une reconnaissance honorifique que j’aurai pu obtenir. Mon rêve était de fabriquer des montures sur mesure et haut de gamme à partir d’écaille de tortue ou de corne. Cependant, il y avait beaucoup d’inconvénients à travailler ces matériaux car les écailles étaient chères et fragiles mais quel plaisir de travailler cette matière !


 

 

 

Madame A.

29 ans

 

Métro XX, XX, 8h47

    Aie ! Putain ! Non, c’est pas vrai ! J’ai trop mal ! Ces portes à la con !

Je viens de me faire coincer par les portes du métro qui se sont refermées sur moi. Elles se sont fermées perpendiculairement à moi, dans l’axe sternum-colonne vertébrale. Comme ça fait mal ! Je lève la tête, j’espère que personne ne m’a vue. Personne ne me regarde, ouf. La rame n’est pas pleine, c’est calme au mois d’aout. « Ah le mal de chien que ça me fait » je souffre en silence. J’essaie de faire en sorte que la douleur ne se lise pas sur mon visage, la honte quand les gens te regardent après t’être fait coincer dans les portes !

    Jamais plus je ne monterai dans une rame après la sonnerie. C’est promis, j’ai trop mal. Tout ça pour être à l’heure au boulot… ça ne vaut pas le coup ! Faut vraiment que je revois mes priorités !

C’est à partir de ce jour-là que j’ai eu des douleurs tous les jours pendant presque 7 ans.

Chaque jour est le théâtre de mes douleurs. Je ne sais pas si je vais arriver à rentrer depuis la fac jusque chez moi avec mon sac, mes bouquins à la main. La douleur se situe dans le bras. Mal à en avoir les larmes aux yeux, à m’écrouler par terre en arrivant, à pleurer pendant des heures ! Tellement forte cette douleur que si je me faisais agresser dans la rue, je ne pourrais même pas me défendre.

Cet été-là, je prends le métro tous les jours pour me rendre dans une pharmacie rue XX dans laquelle j’effectue un stage de 3e année qui se passe bien. J’apprends beaucoup car le pharmacien me laisse servir au comptoir alors que je n’ai pas le droit. A la fac, depuis l’épisode du métro, la douleur qui m’envahit et qui s’attarde sur le bras droit me créée d’énormes difficultés pour suivre le rythme des cours.

Je poursuis des études de pharmacie depuis septembre 2004 à XX où je suis venue m’installer. D’ailleurs, ça fait du bien de vivre sans ses parents ! J’ai toujours voulu faire pharmacien. Les deux domaines qui me conviennent sont sans hésitation la santé et le social. A mes yeux, être pharmacienne en officine allie les deux. Ça c’est la raison rationnelle qui explique un choix émotionnel (j’ai appris cela en marketing ! un choix se fait toujours de façon émotionnelle et on cherche après une raison objective de l’avoir fait). La première fois que j’ai décidé que je voulais être pharmacien, c’est pour une raison qui peut paraitre plus "futile", mais qui a compté pour moi : j'allais tous les samedi matins à XX avec ma grand-mère. Elle allait quasiment à chaque fois à la pharmacie. Comme toutes les personnes âgées, elle prenait plusieurs traitements. Je trouvais ce moment sympa, la pharmacienne était très avenante, elle demandait toujours des nouvelles (j'ai compris en grandissant qu'elle était un peu "curieuse"). Je trouvais qu'elle apportait de l’attention aux patients et que c’était bien de sa part. Et puis cette pharmacie avait des tiroirs qui "rentraient tout seul" avec juste une petite impulsion et je me suis dit qu'il n'était pas possible de se lasser de ces tiroirs !

Par ailleurs, j'ai toujours voulu faire des études difficiles, j’étais sûre que c’était pour moi. Mes parents et ma famille m'ont toujours inspiré le goût du travail. De plus, j'en avais les capacités.

Je dois bien avouer qu'en terminale, j'avais fini par hésiter. On remet tout en question à 18 ans et c’est le moment de se décider. Les alternatives possibles auraient été psychologue, œnologue ou architecte. Si j'avais raté pharmacie, je pense que j’aurais fait psycho. Souvent les gens lèvent leurs gardes avec moi et me confient leurs secrets.

 

 

 

Monsieur M.

63 ans

 

L’enfant me fixe de ses grands yeux noirs...

 

         C’est un regard immense, intense et brûlant... C’est ce regard qui concentre la dernière parcelle de vie encore présente dans son corps squelettique. La nuque ne peut plus soutenir la tête, le ventre est distendu et son bras n’est pas plus gros que mon pouce. Le corps de XX est sans réaction quand je l’ausculte et le retourne. Il n’a pratiquement plus de muscles. Seuls les yeux bougent et ne me quittent plus.

         Cet enfant est au stade ultime de la malnutrition. Quand les aliments disparaissent et qu’il ne reste que la force de survivre, le corps va piocher dans les réserves de graisses. Et quand il n’y en a plus, l’organisme s’attaque aux muscles et les dévore, puis se tourne vers le tube digestif pour en extraire les dernières miettes d’énergie. C’est une véritable autophagie. Seul un enfant sur dix peut survivre quand il a atteint ces limites. Et encore… Pour récupérer, il lui faudra des soins permanents, adaptés, et beaucoup de chance. La chance… Ce mot a-t-il encore un sens dans ces montagnes d’XX arides et sans pluies ?

         Il n’a pas cinq ans ce gamin, il a cent ans... C’est vraiment un vieillard de cent ans à la peau fine et ridée qui me fixe d’un regard calme et profond, un regard si expressif que je commence à l’entendre, il me parle : “Pourquoi diable veux-tu t’acharner sur moi ? Laisse-moi en paix ! Je suis déjà détaché de la vie, de cette vie que tu veux à tout prix m’offrir. J’en ai trop vu et je suis déjà trop vieux. Je ne veux plus de votre monde. Laisse-moi mourir, Occupe-toi des autres. Laisse-moi tranquillement profiter des quelques jours qui me restent.”

         L’enfant me regarde avec la résignation d’un vieux philosophe, avec la sagesse et la lassitude de celui qui voit l’inéluctable ; et il attend une réponse. Et cette fois, il n’est plus possible d’esquiver, de me réfugier derrière les poncifs et la langue de bois… 

         “Je ne sais que dire XX. C’est vrai que ton état n’est pas brillant. Et pour parler franc, j’ai très peu de chances de te sauver.”

         “Mais il faut que tu me laisses essayer. Nous, médecins, on a été formé pour ça, et je suis venu en XX pour sauver un maximum d’entre vous. On ne peut tout simplement pas accepter que cette guerre et cette famine vous détruisent tous. Surtout vous, les enfants et les femmes. Je sais que l’injustice est trop grande, elle est irréparable, et le monde qui a laissé se perpétuer cette infamie est impardonnable.

         Mais à chaque jour sa peine, et pour l’instant il faut des survivants, il faut qu’il en reste le plus grand nombre possible.”

         Les grands yeux noirs me fixent sans ciller, pleins de ressentiments. Je dois poursuivre...


 

 

 

 

Madame C.

85 ans

J’aurais été bien étonnée si on m’avait prédit qu’un jour j’« écrirais » un livre ! Pourtant nous sommes en XXXX, année de mon quatre-vingt-cinquième anniversaire, et je peux vous offrir, mes frères, enfants et petits-enfants, ce livre.

Le projet m’a été suggéré par F., très attachée, comme son frère et ses sœurs, à l’histoire familiale.

Les souvenirs de famille m’ont toujours passionnée. Deux de mes cousins, plus âgés que moi, ont écrit un livre de famille, mais nous n’avons pas vécu les événements de la même façon. Ils parlent beaucoup d’eux-mêmes et de leur réussite scolaire et je n’apprécie ni le style, ni ce qui est raconté sur nos grands-parents communs. 

J’aime parler de la famille et je me fais plaisir en repartant en arrière, en donnant des détails sur la vie que j’ai eue et que j’ai aimée. 

J’ai déjà raconté beaucoup de choses mais dans le désordre, et pas à tous. Et puis, je n’ai jamais vraiment dit comment je l’ai vécue, cette vie qui est la mienne. Je me suis replongée dans ma mémoire, j’ai remis le nez avec beaucoup de plaisir dans les anciens documents et surtout les photographies que j’aime tant et au fil des après-midis pendant lesquels je racontais mon histoire, j’ai compris qu’écrire ses mémoires, c’est aussi rassembler une famille et partager une sorte d’héritage du passé.

 

 

 

Madame P

85 ans

C’est ainsi que mi-décembre 1938, nous sommes tous partis, mon frère et moi portant des sacs à dos que maman nous avait confectionnés en tissu militaire. Elle portait XX sur un bras et un baluchon sur l’autre. Souvent mon grand-père prenait XXX pour alléger la charge de maman. Nous avions emporté « quatre chaussettes et un faux col »…. C’est-à-dire très peu de choses, mais bien suffisamment quand il faut les porter. Avec mon frère nous n’avions pas envie de reprendre la route, il n’y avait pas de neige mais il faisait un froid glacial.

 

Les routes étaient mitraillées, éclairées par des feux de Bengale avant les tirs. Empruntant les chemins, il nous est arrivé plus d’une fois de couper les routes sur lesquelles gisaient beaucoup de corps ; nous les poussions sur les côtés. Dès que nous entendions un avion, nous nous mettions dans la bouche le bâton que grand-père nous avait fabriqué. Nous en avions tous un, accroché autour du cou. Il fallait le serrer très fort avec les dents pour éviter un problème aux tympans au moment des impacts des bombes. Maman mettait son doigt dans la bouche de XXX.

 

Mon grand-père chassait des petits gibiers pour nous nourrir ou arrivait à acheter auprès des montagnards un lapin, une poule ou un cabri. A la naissance de XXX, il avait acheté un seau, qui nous a servi tous les jours en de multiples occasions. Maman nourrissait XXX ce qu’elle a fait pendant 28 mois ; certainement cela lui a sauvé la vie ! Elle lavait les couches à la rivière et les laisser sécher à l’air libre.

 

Nous dormions dehors à la belle étoile ou dans des maisons de bergers dans les alpages mais nous n’avions pas envie de regarder le paysage, nous avions juste besoin d’arriver quelque part et de nous reposer.

 

Nous empruntions des chemins sans vraiment connaître la direction à prendre. Je me souviens être passée près du tunnel de la Vielha dans le massif de la Maladeta. Mon grand-père m’avait appris que nous étions près de la source d’un grand fleuve qui s’appelle la Garonne, il continuait à essayer de m’intéresser à autre chose qu’à notre condition. Notre voyage à pied à travers la montagne dans les rigueurs de l’hiver a duré huit longs jours.

 

Dans mes pensées de petite fille de huit ans, j’avais compris que nous vivions dans un monde de méchants qui cherchaient à nous faire du mal, j’enregistrais tout ce qui se passait sans comprendre vraiment.

 

Quand nous sommes arrivés « de l’autre côté », nous étions fatigués et apeurés. Des gens qui parlaient catalan, étaient venus nous accueillir, nous étions parmi une foule de très nombreux réfugiés, arrivant par la montagne.